Je descendais les escaliers du métro. Pas ceux de la
bouche, par lesquels on entre, ceux de la digestion, par lesquels on change de
ligne. J’étais porté par la masse fluide de clients – pardon, d’usagers – quand
je tombe nez à nez avec un panneau publicitaire animé. La structure de l’écran
ressemble à celle, rassurante, d'un téléphone portable qui ferait la taille d’un
homme. Cette bonne vieille figure du portable, si familière, que je croise dans
le métro. L’écran affiche un texte rose sur fond noir.
Ça dit : « Cherche ton bonheur partout ».
Ça dit : « Cherche ton bonheur partout ».
Je m’arrête. Il
se passe quelque chose, là. Le système me tutoie, maintenant ? Il s’adresse à
moi personnellement ? Il me donne des ordres directs ? Plus de jeu de manipulation,
plus de finesse, plus de métaphore, plus de marketing, on y va cash. Bon,
d’accord.
Puis le
texte disparaît et il en vient un autre : « Refuse ce
monde égoïste. »
Attendez, les
gars, si je cherche mon bonheur partout, est-ce que c’est pas moi
l’égoïste ? Donc un égoïste c’est quelqu’un qui ne pense pas à
moi ? Je suis confus.
Finalement arrive le sujet de la
réclame : Résiste, LA
comédie musicale. En dessous, une nana lève le poing fièrement dans un
mouvement de cheveux type L’Oreal.
Le fond est un dégradé de bleu, de rose, de violet. C’est immonde. On dirait
l'univers graphique de Jena Lee, cette ado qui pleurnichait entre manga et R'nB
en 2009. Du rose et du violet, l'alliance incontestée du bon goût. Les mecs
savent tellement que c'est dégueulasse qu'ils essaient de rassurer en ajoutant
des garanties : Michel Berger et France Gall.
Ce qui me pose problème,
c’est pas la comédie musicale en soi. Je ne suis pas particulièrement
connaisseur, et pour tout dire je considère que France Gall a participé à
l’image avilissante de l’adolescente un peu cruche que les publicitaires ont
cherchés à imposer dans les années 60. Quant à sa musique, elle doit tout à
Gainsbourg et à sa voix de poupée innocente au début de sa carrière. Le reste
n’est que de la soupe, et je me sens mal à l'idée que pendant qu'on se tapait
une rébellion molle et immature avec Starmania, les rosbeefs avaient
droit au Sex Pistols, ce qui est autrement contestataire. Enfin… chacun en
jugera.
Le problème, c’est que, pour la énième
fois, on nous propose la quête du bonheur comme carotte. On est censé être
réactif à cette idée, avoir notre petite décharge d’adrénaline à l’évocation
d’un absolue de plaisir constant. Le but, ça ne peut pas être la connaissance,
ou la beauté, ou le triomphe. Point trop d’ambition, mon ami. Le but, c’est le
bonheur, point. Et le bonheur, c’est de pas se poser de questions. Fait ton
petit autel, dispose tes grigris, construit une piste d’atterrissage pour ton
bonheur ! Prie-le pour qu’il vienne !
Baudrillard comparait
ça au culte du cargo, pour en mesurer l’obscurantisme. L’acheteur, complètement
ignorant des logistiques qu’il met en œuvre, de la chaine de production jusqu’à
la vente, se procure divers objets incongrus, dont la notice lui explique comment
il doit se positionner pour pratiquer le rituel.
Jusque-là, le propos s’était
montré discret. Par exemple : Achète ce déodorant et tu auras des femmes,
donc des relations sexuelles, donc des orgasmes, donc du bonheur. On nous passe
ça grossièrement à la moulinette du second degré (faute avouée, faute à moitié
pardonnée), de l’humour, de l’exagération. Mais quand fini l’exagération et
quand commence l’escroquerie pure et simple ? Toutes les associations sont
permises : voiture et femme ; sous-vêtement et corps de rêve ;
chocolat et plaisir ; la couleur verte et l’écologie ; Télérama et
intelligence. On associe l’élément à vendre avec une pulsion primaire.
Pour en revenir à notre
affaire, dans cette annonce improbable de Résiste,
plus de chemins détournés : Cherche
ton bonheur partout. Allez ! Cherche ! Et cherche tout seul parce que
les autres ils sont égoïstes, ils veulent pas jouer avec toi.
J’ai trouvé
cette affiche, dans le métro, humiliante. Parce que ça veut dire qu’on est suffisamment conditionné,
prêt, fin cuit, pour la franchise sans filtres de langage. On est mûr pour la
cueillette. Ça y est, le destin de tout une espèce a laissé place à la
recherche du petit bonheur individuel. La conquête de l’espace, le progrès, les
avancées scientifiques, se sont changées en une conquête de nous, nous, nous à
tout prix. Les satellites d’aciers en guise de ciel qui nous reflète. MON
bonheur. Partout. Qu’il dégouline sur les murs. Et le pire, c’est qu’après
cet ordre direct ils osent te balancer : Résiste.
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