mercredi 6 mars 2019

Twitter RPG


      Si, par une nuit d'orage, le regard fiévreux, les gencives marécageuses, fuyant le monde comme une bête traquée, empoisonné par votre propre existence, ruine de ce que vous fûtes ; si, après avoir tracé la droite qui relie votre passé à votre présent et constaté tristement que son prolongement est plutôt pathétique, et, réfugié dans l'obscurité blême d'un écran d'ordinateur, les mandibules accrochées à la souris, vous venez à créer un compte Twitter, on vous suggérera de choisir entre deux premiers Tweets.

      Le premier parle de vous. Il indique aux autres ce que vous faites : vous configurez votre Twitter. Vous êtes l’acteur de ce Tweet.
      Dans le second, vous saluez. Vous êtes un spectateur courtois, annonçant discrètement votre présence pour souhaiter aux acteurs un bon jour.
      Les joueurs de RPG (Role-Playing Games, ou Jeux de Rôles), sont rompus à ce genre de choix. Ce que vous demande Twitter, avec cette proposition, c'est simplement de savoir quelle classe de personnage vous allez jouer. Quel rôle, si vous voulez.
      Sur Facebook, on est entre amis, on se cajole et on se complimente sans masque. Lorsqu'on crée un compte sur Twitter, on est un Personnage Joueur lâché dans une cave pleine de rats. On a un pseudonyme, donc on a un avatar, et on incarnera ce double dans un univers virtuel violent où la seule action possible est la punchline.
      Les classes de personnages qui sont proposées posent les règles, mais aussi, comme dans tout jeu de rôle, la base d'un scénario : il y aura ceux qui parlent et ceux qui écoutent. Il y aura les suiveurs et les suivis, les abonnés et les abonnements. Ceux qui font ("En train de configurer mon Twitter"), et ceux qui ne seront qu’une présence polie ("Bonjour Twitter").
      Il est regrettable que Twitter ne propose pas une variété de classes de personnages plus large (guerrier, magicien, voleur), ou simplement une relation tournée vers l'ambivalence et le dialogue. Non, on propose l'éternelle relation dominant/dominé, si bien connue de nos services. Ainsi, votre quête principale sera de chercher des maîtres, ou de chercher des esclaves, selon.

      Le tonnerre fait trembler la fenêtre de votre chambre. Vous hésitez. Le monde mérite-t-'il qu'on s'y investisse ? Faut-il descendre bastonner du rongeur dans l'obscurité, gagner sa première épée, sa première armure, et peut-être - PEUT-ÊTRE - fonder une armée - non, une horde - de semblables avec qui on partira à l’assaut du château ? Ou bien n'est-ce pas simplement une histoire d'ego ?
      Voilà que le curseur tremble trop pour que vous parveniez à viser l'un ou l’autre des choix, vos mandibules vous font atrocement souffrir. Bon Dieu, est-ce que vous êtes devenu un gros cafard ? Enragé, vous encastrez le clavier dans l'écran avant d'aller vous pendre dans la bibliothèque, frustré par ce monde insaisissable.

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire